Un entretien avec Jeff Wells, vice-président de la conservation boréale à la National Audubon Society, sur le projet de migration vers le sud du Pluvier bronzé (American Golden-Plover Southbound Migration Project).
En juin 2023, huit Pluviers bronzés ont été équipés de balises PinPoint GPS Argos de 3,5 grammes alors qu’ils nichaient dans la zone d’utilisation spéciale du lac Teshekpuk, sur le versant nord de l’Alaska. C’était la première étape de l’Odyssée de Tullik : le projet de migration du Pluvier bronzé – une étude supervisée par Manomet, Inc. et le U.S. Fish and Wildlife Service – Région de l’Alaska, avec l’aide d’Audubon Alaska, du programme de conservation boréale d’Audubon, d’Audubon Americas et de l’Atlantic Flyway Shorebird Initiative.
Ces oiseaux amorcent leur extraordinaire épopée vers le sud et survolent bientôt le Canada. Nous avons discuté avec Jeff Wells de l’importance pour ces oiseaux de pouvoir compter sur les différents écosystèmes de la forêt boréale et du rôle de ces oiseaux dans ces écosystèmes.
Parlez-nous un peu de votre expérience au sein des organismes Boreal Conservation et Audubon?
J’ai passé mon adolescence à Bangor, dans le Maine, période à laquelle j’ai commencé à m’intéresser aux oiseaux et à les observer. Un jour pluvieux de septembre, j’ai appris par des dames âgées de la section locale d’Audubon que des volées de pluviers bronzés avaient été aperçues dans de vastes champs près de l’aéroport. Le lendemain, la pluie a cessé et, après l’école, j’ai parcouru plusieurs kilomètres à vélo jusqu’à l’aéroport d’où j’ai scruté les champs cultivés à l’aide de mes vieilles jumelles usées. Malheureusement, je n’ai pas vu de pluviers bronzés ce jour-là, mais j’ai lu beaucoup de choses à leur sujet et je me suis imprégné du sentiment d’émerveillement et de mystère que suscitent les oiseaux qui volent de l’Arctique jusqu’à l’Amérique du Sud. Le fait de savoir que j’avais été si près de voir ces oiseaux extraordinaires, qui s’étaient apparemment arrêtés pour se reposer et se nourrir le temps que la pluie cesse, m’a donné l’impression d’être en lien avec eux et j’ai voulu en savoir plus. Des années plus tard, j’ai obtenu une maîtrise puis un doctorat à l’Université Cornell, où j’ai étudié les oiseaux, et j’ai entamé une carrière dans le domaine de la conservation des oiseaux. Il y a 25 ans, j’ai eu l’occasion de consacrer mon travail à la conservation de la forêt boréale, où se reproduisent des milliards d’oiseaux, dont le Pluvier bronzé. C’est également là que les leaders autochtones établissent de nouvelles aires protégées, qui comptent parmi les plus vastes au monde. Il y a quelques années, j’ai pu amener ces travaux sur la forêt boréale à Audubon. Je suis fier que ces recherches se poursuivent, soutenues par une équipe formidable qui comprend désormais cinq membres supplémentaires qui font partie du groupe sur la forêt boréale.
Quel rôle joue le Pluvier bronzé dans la forêt boréale?
Au printemps, en mai et au début juin, les milieux humides, les landes et les côtes de la partie occidentale de la forêt boréale servent de haltes migratoires au Pluvier bronzé. Pendant la migration d’automne – d’août à octobre – on les retrouve un peu partout dans la forêt boréale, et ils sont particulièrement nombreux dans les basses terres et la zone côtière de la baie d’Hudson et de la baie James, ainsi qu’à Terre-Neuve-et-Labrador. À l’automne, en prévision de la longue migration qui les attend vers l’Amérique du Sud, les oiseaux s’y gavent de baies, qui poussent en abondance au ras du sol dans les tourbières, les landes et les sites arides de certaines régions de la forêt boréale. Même s’il dispose d’une vaste aire de reproduction dans l’Arctique (c’est d’ailleurs à cet endroit que les oiseaux dont il est question dans cette étude ont été marqués), le Pluvier bronzé niche également dans certaines parties de la forêt boréale, y compris le long de la côte de la baie d’Hudson et de la baie James, au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, dans le nord de la Colombie-Britannique et dans certaines parties de l’intérieur de l’Alaska.
Pourquoi est-il important de protéger ces lieux qui jalonnent le parcours migratoire des oiseaux?
Si les sites de reproduction sont bien sûr importants, puisqu’ils permettent la naissance d’oisillons qui s’ajoutent à la population d’oiseaux, c’est dans ces haltes migratoires et ces aires d’hivernage que les pluviers bronzés passent la plus grande partie de leur vie. Leur migration est notoirement périlleuse, impliquant des déplacements dans tout l’hémisphère, de l’extrême nord (zones arctique et boréale) à l’extrême sud (des prairies et milieux humides côtiers jusqu’au sud du Chili et de l’Argentine). En raison des très longues distances que ces oiseaux doivent parcourir et de la myriade de menaces et de défis auxquels ils sont confrontés tout au long de leur migration, il est essentiel de veiller à ce qu’ils disposent d’une foule d’endroits sécuritaires où il pourront se nourrir et reprendre des forces, de manière à assurer leur survie. La forêt boréale offre au Pluvier bronzé un grand nombre de haltes migratoires lors de ses migrations printanière et automnale. À l’automne, les haltes migratoires sont particulièrement importantes, donnant l’occasion aux oiseaux de faire des réserves de graisse qui leur permettront de voler plusieurs jours sans faire d’escale en direction de leurs aires d’hivernage en Amérique du Sud.
En quoi une stratégie efficace de conservation des oiseaux est-elle importante?
Maintenir des populations d’oiseaux en santé et résilientes exige des mesures actives de conservation des habitats et d’atténuation des menaces dans tous les endroits dont les oiseaux ont besoin ou pourraient avoir besoin au cours de leur cycle migratoire. L’atteinte de cet objectif à l’échelle des hémisphères dépend des initiatives de conservation à grande échelle menées par des partenaires qui travaillent en collaboration aux quatre coins des Amériques. Une grande partie de la population de pluviers bronzés dépend fortement d’habitats situés dans des zones précises. Il faudra investir massivement pour s’assurer que ces habitats sont en mesure de répondre aux besoins de ces oiseaux. Le travail de suivi des oiseaux migratoires, comme celui réalisé dans le cadre de ce projet, permet de cerner les zones où l’on trouve une très forte concentration d’oiseaux et qui constituent une priorité particulièrement élevée en matière de conservation.
Quel serait le résultat idéal de ce projet sur le Pluvier bronzé?
J’espère que de plus en plus de gens prendront conscience du fait qu’il est possible que les oiseaux migratoires qu’ils aperçoivent l’automne dans leur région soient sortis de leur œuf dans des endroits très éloignés comme l’Arctique et la forêt boréale de l’Alaska et du Canada et qu’ils passeront l’hiver dans le sud de l’Amérique du Sud. Nous espérons qu’en découvrant les interrelations entre ces différentes réalités migratoires, les gens comprendront que la protection, la conservation et la restauration des habitats partout où les oiseaux en ont besoin constituent le seul espoir de s’assurer que les générations futures d’humains pourront profiter de la présence de nombreuses espèces d’oiseaux. En termes de résultats, l’idéal serait que tout le monde se mobilise afin d’inciter les décideurs politiques et les bailleurs de fonds à en faire bien davantage pour soutenir les efforts de conservation et éliminer les menaces qui pèsent sur la survie du Pluvier bronzé et d’autres espèces.
Selon vous, quelle est la meilleure façon pour les adeptes de ces oiseaux d’apporter un soutien concret à ce projet?
Les organismes de conservation, dont Audubon, offrent et continueront d’offrir aux amateurs d’oiseaux différentes façons d’influencer les décisions politiques qui ont un impact sur l’avenir de ces oiseaux et de bien d’autres. J’encourage tous les adeptes des oiseaux, dans le cadre de leur participation à Aubudon ou une ONG de conservation parternaire, à s’engager à participer à l’envoi d’au moins une lettre d’invitation à passer à l’action sur une question qui touche une ou plusieurs des régions essentielles à la survie du Pluvier bronzé dans toutes les Amériques.
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