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Conversation avec James Fox et Christian Artuso, Ph. D. ...

... à propos du Projet de migration vers le sud du Pluvier bronzé.


Alors que nos amis les pluviers bronzés poursuivent leur épique voyage vers le sud, on peut les apercevoir traversant le ciel du Canada. En compagnie de James—membre de la Nation crie de Tataskweyak—et de Christian—qui travaille au Service canadien de la faune—nous avons discuté de l’importance d’oiseaux tels que le Pluvier doré pour les communautés locales, de la nécessité pour ces oiseaux de disposer d’endroits sûrs tout au long de leur parcours migratoire, et de bien d’autres choses encore.


Parlez-nous un peu de vous et de votre amour des oiseaux.


JF: Je suis né à Prince George, en Colombie-Britannique. J’ai passé mes premières années dans le nord du Manitoba mais je vis depuis 30 ans à ᐊᒥᐢᑿᒌᐚᐢᑲᐦᐃᑲᐣ, qui se prononce Amiskwacîwâskahikan (Edmonton). Du côté paternel, je suis un ornithologue de quatrième génération, mon arrière-grand-mère était ornithologue en Suisse avant d’émigrer au Canada. Mon grand-père et mon père ont pratiqué l’ornithologie au Manitoba depuis plusieurs décennies. Du côté de ma mère, je suis Autochtone, membre de la Nation crie de Tastaskweyak. Je suis un Cri des marais. Je suis un artisan autochtone, spécialisé dans le perlage traditionnel, le touffetage de poils de caribou, et la confection de hochets carapace de tortue, de hochets en cuir brut et de tambours. Le printemps et l’été, je partage mon temps entre l’observation des oiseaux, les pow-wow et divers événements autochtones où je vends mon artisanat et mes œuvres d’art. Je suis réviseur pour eBird Alberta. À ce titre, j’analyse les données recueillies pour les 9 comtés du Nord de l’Alberta. Je suis également rédacteur pour la région de la province des Prairies pour la revue North American Birds de l’American Birding Association. Je suis en fait corédacteur, en compagnie de Rudolf Koes.


CA: Je suis d’origine italienne. Les parents de mon père sont venus comme colons s’installer sur les terres des Haudenosaunee, où je suis né (sur l’île de Tiohtià:ke, aussi connue sous le nom de Montréal). J’ai l’injuste privilège d’avoir voyagé et vécu sur les cinq continents. Je parle le français, l’anglais, l’italien, l’espagnol, le mandarin et l’anishinaabemowin (ojibwé et algonquin), quoique je ne parle pas couramment l’anishinaabemowin. Les langues et les oiseaux sont deux passions de longue date. J’ai toujours aimé la faune et la flore, depuis que je suis tout petit. On s’est moqué de moi quand j’étais enfant, sans doute parce que la société considérait l’observation des oiseaux comme quelque chose d’assez étrange (se faire appeler « observateur d’oiseaux » était une insulte quand j’étais jeune) qui était peut-être associé à un comportement asocial (sauf chez les personnes âgées). Bien que les domaines scientifiques se rapportant aux oiseaux, à la surveillance aviaire et à l’action citoyenne aient été au cœur de mes études doctorales en environnement et en géographie et de ma carrière, ce ne fut pas un parcours en ligne droite. Je dois beaucoup à un pic en particulier, une histoire que j’ai racontée ici. Aujourd’hui, je vis à Anishinaabewakiing (territoire algonquin non cédé) et je travaille à la gestion des oiseaux migrateurs au Service canadien de la faune. J’apporte mon soutien à l’excellent travail réalisé par de nombreuses Premières Nations et j’établis des partenariats partout dans l’hémisphère. Soutenir les initiatives dirigées par les Autochtones et collaborer avec des personnes comme James et avec l’Indigenous Kinship Circle, c’est le genre de travail qui me donne le plus d’espoir à l’égard de l’intendance du monde naturel. {https://ebird.org/profile/MTIxODgz/world, Instagram : @ch_artuso, Facebook : @chris.artuso.3, X : @Birds_Manitoba}


L’un d’entre vous participe-t-il au Programme de surveillance régionale et internationale des oiseaux de rivage dans l’Arctique (PRISM de l’Arctique)? Si oui, pouvez-vous nous parler un peu de ce programme?


JF: Je ne fais pas partie du programme. Dans le domaine de l’observation des oiseaux, je collabore avec eBird et North American Birds, et j’ai récemment commencé à corédiger des articles avec Christian dans le but de mieux faire connaitre les questions touchant la conservation d’un point de vue autochtone.


CA: Sans y avoir participé directement, je connais le programme PRISM de l’Arctique grâce à ma participation au comité technique sur les oiseaux de rivage. J’apporte une contribution à divers travaux touchant les oiseaux de rivage, notamment en soutenant vos efforts et les initiatives d’aires protégées et de conservation autochtones dans le Nord, comme celle du bassin versant de la rivière Seal. Je soutiens également nos partenaires de l’Amérique latine, notamment Aves Argentinas, dont le travail porte sur les oiseaux de rivage comme la Barge hudsonienne.


Pouvez-vous nous parler de l’importance de l’Arctique canadien pour les oiseaux nicheurs, en particulier les espèces migratrices comme le Pluvier bronzé?


JF: L’Arctique canadien est l’une des régions les plus importantes de la planète. Cette région offre des marécages, des lacs, des bourbiers et des étendues de toundra où de nombreuses espèces élèvent leurs petits. C'est étonnant, quand on sait que cette région est, pendant la majeure partie de l’année, l’un des environnements les plus rudes et les plus froids de la planète, et que, pendant quelques mois chaque été, cette région connait un dégel, s’épanouit et se transforme en un lieu de reproduction foisonnant et diversifié.


CA: L’Arctique est une région étonnante, exquise et riche, mais souvent sous-estimée. À bien des égards, la santé de notre planète tout entière est liée à la santé des espèces que l’on retrouve dans l’Arctique, y compris ces millions d’oiseaux migrateurs formant de magnifiques nuées dans le ciel chaque été, et qui tissent des liens avec une myriade d’écosystèmes méridionaux, certains aussi éloignés que les eaux de l’Antarctique. J’ai passé beaucoup de temps dans la région subarctique de la baie d’Hudson et un peu dans l’Arctique du Nunavut. Parmi toutes mes merveilleuses rencontres avec la faune, il y a une chose qui me touche toujours au cœur, c’est la poésie en mouvement des volées d’oiseaux de rivage qui transpercent le ciel. Pour moi, ils incarnent également le principe de l’abondance naturelle, que les Anishinaabeg et d’autres m’ont appris à apprécier et à respecter. Bien que ma propre culture valorise la rareté, un phénomène qui dénature également l’observation des oiseaux, je sais que sans ce profond respect envers l’abondance naturelle, l’équilibre des saisons et les mouvements de ces volées d’oiseaux de rivage sont tout aussi fragiles que ces pigeons voyageurs dont nous n’avons pas su prendre soin.


Pouvez-vous nous parler de l’importance du Pluvier bronzé et des autres oiseaux migrateurs pour votre communauté?


JF: Ils sont tout pour nous. Toute notre culture repose sur la nature et notre environnement, et sur le fait de vivre en harmonie avec la nature et de la respecter. La migration joue un rôle important dans la vie traditionnelle des peuples cris. Certains mois de notre calendrier portent le nom de migrations d’oiseaux et de certaines étapes du cycle de vie de ces animaux. Nos danses sacrées imitent les animaux et les oiseaux et leur rendent hommage. Les plumes d’aigle sont l’un des objets les plus hautement sacrés de notre culture.


CA: J’ai un faible pour le Pluvier bronzé. On m’a appris qu’ils l’appellent tuu-siik, une belle représentation de leur double sifflement, et qui, je suppose, constitue la base de la dénomination des espèces en Iñupiak, comme le terme tuliik (c.-à-d. onomatopée) et peut-être le mot atsuk en Inuktitut. J’ai beaucoup de bons souvenirs associés à ce cri que j’entendais à mon arrivée dans leur lieu de nidification, y compris cette fois où un Pluvier m’a salué bruyamment au moment où je débarquais de mon canot – en fait, il protestait sans doute contre ma présence. Ces oiseaux vous font comprendre que l’espace personnel est important, même dans la vaste toundra, et bien souvent, ils me forcent à les contourner lors des dénombrements ponctuels le long des transects . Je les ai vus par paires dans la toundra, en bandes sur les plaines labourées par les oies, et tout au long de leur voie migratoire. Qu’ils soient vêtus du plus beau manteau noir et or ou de leur robe énigmatique, ils affichent toujours une véritable élégance. J’aime les saluer en les appelant jiichiishkwenh, un mot en anishinaabemowin, qui désigne plus souvent le Pluvier kildir.


Le Pluvier bronzé effectue l’un des plus longs voyages migratoires de tous les oiseaux. Pensez-vous que les gens le considéreraient différemment s’ils savaient cela?


JF: Bien sûr. Les gens aiment beaucoup ce genre d’informations étonnantes. Je pense que, de façon générale, les gens connaissent peu de choses à propos des oiseaux de rivage, mais un fait insolite peut les amener à s’intéresser à l'observation des oiseaux. À mon avis, il est important de partager nos connaissances avec les gens qui ne sont pas d’emblée des passionnés d’oiseaux – on ne sait jamais ce qui pourrait un jour piquer leur curiosité envers l’observation des oiseaux; quelque chose que nous aurons dit, un oiseau qu’ils auront admiré grâce aux jumelles que nous leur aurons prêtées et qui aura fait naître leur goût pour l’observation des oiseaux. Je discute toujours avec les passants néophytes de ce que j’observe et, la plupart du temps, ils jettent un coup d’œil à travers les jumelles ou le télescope et manifestent de l’intérêt. On ne sait jamais, la personne avec qui nous partageons nos connaissances deviendra peut-être le prochain Roger Tory Peterson, David Sibley ou la prochaine Debi Shearwater, et cette personne apportera peut-être une importante contribution à la collectivité des passionnés d’oiseaux.


CA: Les humains sont témoins de ces périples migratoires qui les émerveillent depuis tellement longtemps que je suis toujours étonné de voir à quel point nous les avons oubliés ou chassés de nos esprits et de nos cœurs. En apprenant l’anishinaabemowin, j’ai constaté que les connaissances profondes étaient intimement liées à la langue elle-même. Par exemple, le nom de l’Hirondelle bicolore, zhaashaawanibiisi, indique qu’elle nous rend visite depuis le sud (la racine de ce nom reproduit une partie du verbe zhaawani-, qui veut dire « sud »). En Europe, l’idée même de la migration des oiseaux s’est heurtée à une forte résistance et on y a débattu pendant des siècles la question de savoir si les oiseaux migrent ou hibernent. À l’époque, les sciences autochtones savaient déjà célébrer le don de la migration animale et elles s’en sont inspirées pour établir une éthique fondée sur les principes de soins et de respect destinés à empêcher que l’on abuse de cette abondance. À mon sens, peu importe qui vole le plus loin ou le plus haut, ce qui compte c’est ce que nous partageons avec eux et que nous travaillons ensemble afin qu’ils aient l’occasion de tisser des liens avec notre monde. Il faut parfois réapprendre certaines choses!


James, pouvez-vous nous en dire davantage sur les initiatives de conservation dirigées par les Autochtones qui visent à préserver les terres et les eaux qui se trouvent sur les territoires traditionnels de la Nation crie de Tataskweyak et près de ces territoires?


JF: Christian et moi avons récemment écrit un article sur les projets de conservation dirigés par les Autochtones dans mon territoire d’origine dans le Nord de l’Alberta https://www.audubon.org/news/land-worth-protecting. Je suis vraiment déchiré à propos des projets de conservation que mènent les bandes et les réserves. Bien sûr, il m’apparaît important de protéger ces terres et ces zones pour les générations futures, mais je sais aussi à quel point les gens de ma propre réserve souffrent. J’hésite à accaparer les dirigeants de ma communauté alors que tous les membres de ma réserve cherchent à satisfaire des besoins fondamentaux. C’est difficile de s’enthousiasmer à l’idée que ma bande s’investisse de manière soutenue dans des projets de conservation alors que des membres de ma propre famille luttent pour subsister au quotidien. Ma réserve est l’une des vingt-huit réserves qui font encore l’objet d’un avis à long terme concernant la qualité de l’eau. C’est triste, ma réserve est propriétaire d’une partie de deux énormes barrages hydroélectriques, mais nous n’avons pas d’eau potable ni de logements adéquats, et une grande partie de nos territoires de chasse traditionnels sont inondés. Je suis tout à fait d’accord pour que nos dirigeants mènent des efforts de conservation, mais j’espère pouvoir un jour en être pleinement fier et heureux, du fait que tous les membres de notre bande auront alors un logement et accès à une eau de qualité.


CA: Ce que James vient de dire est très important et mérite d’être souligné. Les inégalités flagrantes et les abus de pouvoir éhontés qui ont eu lieu sur ce continent, et qui sont si dévastateurs pour les peuples autochtones, font partie intégrante du même système patriarcal qui est si destructeur pour Mère Nature. L’équité et la justice sont intimement liées à la « conservation », un fait malheureusement souvent ignoré encore aujourd’hui. La conservation a été et est encore souvent préjudiciable aux personnes (et donc, en fin de compte, à la nature) et nous devons changer d’approche. Nous devons aspirer à réaliser la vision exprimée par James, en reconnaissant les changements considérables que cela suppose.


Pouvez-vous expliquer pourquoi il est important de protéger divers lieux tout au long du périple migratoire d’un oiseau?


JF: S’il n’en tenait qu’à moi, toutes les voies de migration de toutes les espèces seraient protégées. Nous avons tant à apprendre sur les oiseaux et la migration que nous devons lutter contre le déclin de leur population et la perte de leur habitat. Parfois, sur une route migratoire, un endroit peut, à lui seul, être vital pour une espèce. Par exemple, pour le Bécasseau maubèche, la baie du Delaware est de la plus haute importance. Cette seule baie joue un rôle essentiel dans le succès de la migration du Bécasseau maubèche. Les œufs de limule qu’on trouve à cet endroit fournissent aux bécasseaux maubèches l’apport en calories dont ils ont besoin pour mener à bien l’ultime étape de leur périple vers le nord. Dans le grand ordre des choses, on sait très peu de choses sur la migration des oiseaux et encore moins sur celle des oiseaux de rivage. Nous ne savons pas quels endroits sont susceptibles de constituer des haltes migratoires importantes pour le Pluvier bronzé. En Alberta, on observe généralement le Pluvier doré dans les champs agricoles près des marécages et des bourbiers. La fréquentation par les oiseaux d’une grande partie du nord de l’Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba, de l’Ontario, du Québec, du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest est encore mal connue, et il nous reste peut-être certaines haltes migratoires à découvrir. Il est important de protéger les terres restantes. Nous avons perdu tellement d’habitats naturels dans tous les types de terrain que nous devons tous les protéger.


CA: Le cycle de vie des animaux migrateurs est d’une grande complexité. Leur demander de renoncer à l’un ou l’autre des lieux qui sont devenus pour eux si importants en raison de l’évolution de leur espèce et de leur parcours de vie individuel, c’est comme demander à un crapaud de renoncer à être un têtard parce qu’il n’y a pas assez d’eau. Même l’espace aérien que nous considérons comme acquis sert d’habitat pour une espèce ou l’autre d’oiseau migrateur ou de chauve-souris. Ils ne s’y reproduisent peut-être pas, mais ils en ont besoin pour survivre. Pour le Pluvier doré, la toundra et la pampa ne sont que deux des biomes dont ils ont besoin. Ils ont besoin de l’hémisphère, de l’hémisphère tout entier, ils ont besoin que nous partagions avec eux le monde entier.


Pensez-vous que des projets comme celui du Pluvier doré sont importants? Pourquoi?


JF: Très importants. Chaque projet de recherche, quelle que soit sa taille, contribue à enrichir les connaissances générales à propos des oiseaux. Tous les projets de recherche ont de la valeur à mes yeux.


CA: Mes réponses aux questions précédentes expliquent pourquoi je pense que c’est si important. Il faut établir des liens avec les visions du monde des peuples, avec l’équité, et comprendre de quelle manière notre propre parcours vie aide ces oiseaux à prendre leur envol ou au contraire exacerbe la situation précaire dans laquelle ils se trouvent aujourd'hui.

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